Christelle Luisier Brodard est la toute nouvelle conseillère d’Etat vaudoise, la ministre chargée du Département des institutions et du territoire (DIT). Elle défend l’idée d’une croissance positive, ce qui implique que les communes sachent trouver un équilibre entre densification et bien-être de la population. Des propos inspirants, à Echallens comme ailleurs. Nous l’avons rencontrée.
Nous avons l’impression que la densification de nos villes et villages s’est accélérée de manière intensive…
La croissance est un sujet à la fois technique et émotionnel. Les mêmes thématiques émergent partout, tant dans les villages que dans les grandes villes. Les politiques territoriales et l’aménagement du territoire ont beaucoup évolué et leur influence sur la qualité de vie des populations est importante.
Qu’est-ce qui a changé ces dernières années?
L’adoption par le peuple, en 2013, de la révision de la LAT (loi fédérale sur l’aménagement du territoire) a provoqué un certain nombre de transferts de compétences sur les plans fédéral et cantonal, et les communes ont malheureusement perdu de leur autonomie. Les objectifs de cette révision sont louables, puisqu’ils ont pour but d’éviter le mitage du territoire et de pousser le développement vers les centres pour éviter l’étalement urbain. Mais pour atteindre ces objectifs, il faut concilier des intérêts parfois contradictoires.
Il a été déterminé, pour chaque commune, un taux de croissance…
Exactement. Ce taux, contenu dans le Plan directeur cantonal, a été établi en fonction des typologies des communes, il varie donc selon le type de localité ou de périmètre. Le canton de Vaud a retranscrit les objectifs de la loi fédérale en critères démographiques. Un critère qui est ensuite lui-même retranscrit en nombre de mètres carrés constructibles, celui que chaque commune peut avoir sur son territoire.
Donc, le Canton a par exemple établi qu’Echallens pouvait atteindre 7542 habitants en 2036…
La loi fédérale impose aux cantons de limiter leur zone à bâtir globale en fonction des prévisions démographiques à 15 ans. Le Plan directeur cantonal défini dès lors un potentiel de croissance basé sur ce critère, potentiel qui ensuite se traduit dans les Plans généraux d’affectation. Le résultat est que les deux tiers des communes vaudoises vont devoir dézoner, c’est-à-dire qu’elles vont devoir changer l’affectation de zones constructibles en zones agricoles. Ce ne sera toutefois pas le cas à Echallens, qui n’a pas trop de terrains constructibles par rapport à son potentiel de croissance.
Lorsque le canton définit que le potentiel d’Echallens est de 7542 habitants en 2036, s’agit-il d’un objectif à atteindre?
Non, il s’agit d’un maximum. C’est à la commune de décider si elle veut réaliser ce potentiel ou pas.
Les nouveaux Plans directeurs communaux doivent prendre ça en considération?
Bien sûr. Et même les nouveaux Plans directeurs régionaux, puisqu’on fait la même chose pour les zones d’activité qui sont désormais gérées régionalement.
Tout ça ne se fait pas sans tensions…
Le contexte n’est pas simple en effet. D’un côté on dézone, de l’autre on densifie les centres. Et il est devenu compliqué de créer de nouvelles zones à bâtir: il faut prouver qu’il y a un besoin et pas de réserve en suffisance sur le territoire communal. Sans parler du fait que les terrains considérés comme des surfaces d’assolement (les terres arables convenant le mieux à l’agriculture, ndlr.) sont quasi intouchables, à moins d’un projet d’importance cantonale. La Confédération impose effectivement aux cantons de garantir un quota de surface d’assolement (SDA). Vaud doit ainsi et impérativement préserver 75 800 hectares de SDA.
Vous défendez le principe d’une croissance positive. C’est-à-dire?
J’estime nécessaires la croissance et le développement économique, c’est ma philosophie. La décroissance, c’est moins de places de travail, la récession la perte de rentrées fiscales et donc moins de moyens pour la redistribution. Cela dit, la croissance ne doit pas se faire à n’importe quel prix. Je me rends compte qu’au sein de la population, certains estiment que les choses ont été trop vite ces dernières années, qu’il y a eu une densification à outrance. L’enjeu consiste donc à concilier la volonté du peuple de densifier vers l’intérieur du bâti tout en préservant la qualité de la vie des habitants des quartiers concernés. C’est cet équilibre qui doit être trouvé.
Comment?
Une des clés de la bonne gestion de la croissance, c’est la démocratie. Les communes ont tout intérêt à mettre en place des processus participatifs pour connaître l’avis des citoyens en matière de mobilité, de crèches, d’écoles et autres infrastructures collatérales à la densification. Les attentes sont énormes et la démarche participative permet de densifier tout en maintenant la qualité de vie, par exemple en compensant la densification d’un centre-ville avec de nouvelles places vertes, de nouveaux services. Lorsque j’étais syndique de Payerne, la commune a mené deux démarches participatives, dont l’une a débouché sur la suppression d’un grand parking pour créer une place publique. Cela implique un processus démocratique qui ne soit pas un simple alibi. Pour avoir de la valeur, une démarche participative doit être bien menée et servir réellement d’outil pour la prise de décision. Je suis persuadée qu’on arrive à trouver ainsi l’indispensable équilibre entre la densification et la qualité de la vie.
A Echallens, nous avons par exemple encore un joli centre-ville. Certains aimeraient le rendre piétonnier mais les commerçants craignent que l’absence de place de parc rebute leurs clients…
Ce sujet concerne essentiellement les autorités communales, et je tiens à ne pas à m’immiscer dans ce débat qui relève de leur compétence. Je sais toutefois que la question de la reconfiguration d’un centre-ville soulève systématiquement et logiquement un grand nombre de questions, de craintes aussi: quelle place pour la voiture?, quelle place pour la mobilité douce?, s’il y a moins de places de parc qu’est-ce qui se passe avec les commerces? Un centre appartient à tout le monde, à celles et ceux qui le font vivre et y vivent, à celles et à ceux qui le traversent et le vivent. Peut-être qu’ici, comme cela a été le cas en d’autres lieux du canton, une démarche participative peut se révéler précieuse pour esquisser un projet équilibré.
On densifie les centres, mais sans augmenter la capacité des routes cantonales qui y mènent les nouveaux habitants, ce qui créé des ralentissements importants, voir des bouchons aux heures de pointe…
La politique actuelle consiste à maintenir et à développer les capacités routières, mais aussi à favoriser le transfert modal et à développer l’offre en transports publics. Le développement vers l’intérieur du milieu bâti permet de prévoir une croissance démographique là où existent déjà des infrastructures et des services qui peuvent s’adapter, comme à Echallens. Cela dit, d’autres mesures peuvent atténuer les problèmes d’engorgement de trafic, je pense notamment au décalage de certains horaires de travail ou au télétravail, dont l’impact sur la pendularité est frappant, nous en avons eu la démonstration pendant la crise du COVID-19.
C’est donc aux communes de réfléchir à des solutions par rapport à leur situation…
Oui, et de réfléchir à ce qu’elles veulent mettre en place au niveau de la mobilité, comme par exemple des bus urbains.
Et que peut faire le Canton de son côté ?
Je pense qu’entre le Canton et les communes, le lien en matière d’aménagement du territoire doit être renforcé. En arrivant au Conseil d’Etat, j’avais pour projet d’aller dans tous les coins du canton pour être à l’écoute des besoins et des attentes des communes. Aussi pour rappeler le cadre légal dans lequel nous travaillons. Nous avons bien sûr en permanence des liens avec les communes mais mon souhait est que nous soyons plus proactifs, plus à l’écoute de ce qui fonctionne et ne fonctionne pas. La crise sanitaire m’a obligé à reporter ces visites. Je parcourrai le canton, très probablement cet automne.
Vous avez l’air plutôt sereine et passionnée face à toutes ces problématiques…
Je suis passionnée par ce domaine, par l’art de concilier les aspects techniques de planification avec la qualité de vie des gens. C’est un sacré challenge. Je suis vraiment heureuse d’être à la tête de ce département.
- Propos recueillis par Corinne Bloch et Patrick Morier-Genoud -
Corinne Bloch, la présidente de l’Association pour la Sauvegarde d’Echallens, et Christelle Luisier Brodard, la Conseillère d’Etat vaudoise en charge du Département des institutions et du territoire (DIT).
Posted: 12 juin 2020 by ASE
«Une des clés de la bonne gestion de la croissance, c’est la démocratie»
Christelle Luisier Brodard est la toute nouvelle conseillère d’Etat vaudoise, la ministre chargée du Département des institutions et du territoire (DIT). Elle défend l’idée d’une croissance positive, ce qui implique que les communes sachent trouver un équilibre entre densification et bien-être de la population. Des propos inspirants, à Echallens comme ailleurs. Nous l’avons rencontrée.
Nous avons l’impression que la densification de nos villes et villages s’est accélérée de manière intensive…
La croissance est un sujet à la fois technique et émotionnel. Les mêmes thématiques émergent partout, tant dans les villages que dans les grandes villes. Les politiques territoriales et l’aménagement du territoire ont beaucoup évolué et leur influence sur la qualité de vie des populations est importante.
Qu’est-ce qui a changé ces dernières années?
L’adoption par le peuple, en 2013, de la révision de la LAT (loi fédérale sur l’aménagement du territoire) a provoqué un certain nombre de transferts de compétences sur les plans fédéral et cantonal, et les communes ont malheureusement perdu de leur autonomie. Les objectifs de cette révision sont louables, puisqu’ils ont pour but d’éviter le mitage du territoire et de pousser le développement vers les centres pour éviter l’étalement urbain. Mais pour atteindre ces objectifs, il faut concilier des intérêts parfois contradictoires.
Il a été déterminé, pour chaque commune, un taux de croissance…
Exactement. Ce taux, contenu dans le Plan directeur cantonal, a été établi en fonction des typologies des communes, il varie donc selon le type de localité ou de périmètre. Le canton de Vaud a retranscrit les objectifs de la loi fédérale en critères démographiques. Un critère qui est ensuite lui-même retranscrit en nombre de mètres carrés constructibles, celui que chaque commune peut avoir sur son territoire.
Donc, le Canton a par exemple établi qu’Echallens pouvait atteindre 7542 habitants en 2036…
La loi fédérale impose aux cantons de limiter leur zone à bâtir globale en fonction des prévisions démographiques à 15 ans. Le Plan directeur cantonal défini dès lors un potentiel de croissance basé sur ce critère, potentiel qui ensuite se traduit dans les Plans généraux d’affectation. Le résultat est que les deux tiers des communes vaudoises vont devoir dézoner, c’est-à-dire qu’elles vont devoir changer l’affectation de zones constructibles en zones agricoles. Ce ne sera toutefois pas le cas à Echallens, qui n’a pas trop de terrains constructibles par rapport à son potentiel de croissance.
Lorsque le canton définit que le potentiel d’Echallens est de 7542 habitants en 2036, s’agit-il d’un objectif à atteindre?
Non, il s’agit d’un maximum. C’est à la commune de décider si elle veut réaliser ce potentiel ou pas.
Les nouveaux Plans directeurs communaux doivent prendre ça en considération?
Bien sûr. Et même les nouveaux Plans directeurs régionaux, puisqu’on fait la même chose pour les zones d’activité qui sont désormais gérées régionalement.
Tout ça ne se fait pas sans tensions…
Le contexte n’est pas simple en effet. D’un côté on dézone, de l’autre on densifie les centres. Et il est devenu compliqué de créer de nouvelles zones à bâtir: il faut prouver qu’il y a un besoin et pas de réserve en suffisance sur le territoire communal. Sans parler du fait que les terrains considérés comme des surfaces d’assolement (les terres arables convenant le mieux à l’agriculture, ndlr.) sont quasi intouchables, à moins d’un projet d’importance cantonale. La Confédération impose effectivement aux cantons de garantir un quota de surface d’assolement (SDA). Vaud doit ainsi et impérativement préserver 75 800 hectares de SDA.
Vous défendez le principe d’une croissance positive. C’est-à-dire?
J’estime nécessaires la croissance et le développement économique, c’est ma philosophie. La décroissance, c’est moins de places de travail, la récession la perte de rentrées fiscales et donc moins de moyens pour la redistribution. Cela dit, la croissance ne doit pas se faire à n’importe quel prix. Je me rends compte qu’au sein de la population, certains estiment que les choses ont été trop vite ces dernières années, qu’il y a eu une densification à outrance. L’enjeu consiste donc à concilier la volonté du peuple de densifier vers l’intérieur du bâti tout en préservant la qualité de la vie des habitants des quartiers concernés. C’est cet équilibre qui doit être trouvé.
Comment?
Une des clés de la bonne gestion de la croissance, c’est la démocratie. Les communes ont tout intérêt à mettre en place des processus participatifs pour connaître l’avis des citoyens en matière de mobilité, de crèches, d’écoles et autres infrastructures collatérales à la densification. Les attentes sont énormes et la démarche participative permet de densifier tout en maintenant la qualité de vie, par exemple en compensant la densification d’un centre-ville avec de nouvelles places vertes, de nouveaux services. Lorsque j’étais syndique de Payerne, la commune a mené deux démarches participatives, dont l’une a débouché sur la suppression d’un grand parking pour créer une place publique. Cela implique un processus démocratique qui ne soit pas un simple alibi. Pour avoir de la valeur, une démarche participative doit être bien menée et servir réellement d’outil pour la prise de décision. Je suis persuadée qu’on arrive à trouver ainsi l’indispensable équilibre entre la densification et la qualité de la vie.
A Echallens, nous avons par exemple encore un joli centre-ville. Certains aimeraient le rendre piétonnier mais les commerçants craignent que l’absence de place de parc rebute leurs clients…
Ce sujet concerne essentiellement les autorités communales, et je tiens à ne pas à m’immiscer dans ce débat qui relève de leur compétence. Je sais toutefois que la question de la reconfiguration d’un centre-ville soulève systématiquement et logiquement un grand nombre de questions, de craintes aussi: quelle place pour la voiture?, quelle place pour la mobilité douce?, s’il y a moins de places de parc qu’est-ce qui se passe avec les commerces? Un centre appartient à tout le monde, à celles et ceux qui le font vivre et y vivent, à celles et à ceux qui le traversent et le vivent. Peut-être qu’ici, comme cela a été le cas en d’autres lieux du canton, une démarche participative peut se révéler précieuse pour esquisser un projet équilibré.
On densifie les centres, mais sans augmenter la capacité des routes cantonales qui y mènent les nouveaux habitants, ce qui créé des ralentissements importants, voir des bouchons aux heures de pointe…
La politique actuelle consiste à maintenir et à développer les capacités routières, mais aussi à favoriser le transfert modal et à développer l’offre en transports publics. Le développement vers l’intérieur du milieu bâti permet de prévoir une croissance démographique là où existent déjà des infrastructures et des services qui peuvent s’adapter, comme à Echallens. Cela dit, d’autres mesures peuvent atténuer les problèmes d’engorgement de trafic, je pense notamment au décalage de certains horaires de travail ou au télétravail, dont l’impact sur la pendularité est frappant, nous en avons eu la démonstration pendant la crise du COVID-19.
C’est donc aux communes de réfléchir à des solutions par rapport à leur situation…
Oui, et de réfléchir à ce qu’elles veulent mettre en place au niveau de la mobilité, comme par exemple des bus urbains.
Et que peut faire le Canton de son côté ?
Je pense qu’entre le Canton et les communes, le lien en matière d’aménagement du territoire doit être renforcé. En arrivant au Conseil d’Etat, j’avais pour projet d’aller dans tous les coins du canton pour être à l’écoute des besoins et des attentes des communes. Aussi pour rappeler le cadre légal dans lequel nous travaillons. Nous avons bien sûr en permanence des liens avec les communes mais mon souhait est que nous soyons plus proactifs, plus à l’écoute de ce qui fonctionne et ne fonctionne pas. La crise sanitaire m’a obligé à reporter ces visites. Je parcourrai le canton, très probablement cet automne.
Vous avez l’air plutôt sereine et passionnée face à toutes ces problématiques…
Je suis passionnée par ce domaine, par l’art de concilier les aspects techniques de planification avec la qualité de vie des gens. C’est un sacré challenge. Je suis vraiment heureuse d’être à la tête de ce département.
- Propos recueillis par Corinne Bloch et Patrick Morier-Genoud -
Corinne Bloch, la présidente de l’Association pour la Sauvegarde d’Echallens, et Christelle Luisier Brodard, la Conseillère d’Etat vaudoise en charge du Département des institutions et du territoire (DIT).
Category: L'actu Tags: croissance, Luisier Brodard
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