Le règne de la laideur

Cet édi­to­r­i­al de Michel Favre est paru dans le numéro 33 du 16 août 2018 de ’Echo mag­a­zine. Il exprime par­faite­ment les préoc­cu­pa­tions de notre association.

Des parois vit­rées verdâtres et un toit plat qui avance comme une visière soutenue par des colon­nettes peintes en rouge: ce pour­rait être un garage, c’est la Banque can­tonale d’une ville du Plateau suisse.

Peu importe laque­lle, car le tableau se répète ailleurs, je l’ai con­staté lors de mes péré­gri­na­tions cet été. La pop­u­la­tion aug­mente, la Suisse a de l’argent, donc elle bâtit. N’importe comment.

Je ne par­le pas des cam­pagnes rongées par les zones vil­las, mais des petites villes et des gros vil­lages devenus bour­gades: une place pavée, une fontaine et quelques restau­rants aux volets peints et aux longs toits penchés rap­pel­lent ce qui fut le cen­tre de la vie locale. Autour, les com­merces, les ban­ques et les bureaux s’entassent dans des blocs de béton sans âme ni visage.

Atten­tion: je ne suis pas un défenseur du «style chalet», et je peux citer des con­struc­tions con­tem­po­raines qui anoblis­sent les rues qui les accueil­lent. Le prob­lème existe aus­si dans les grandes villes qui ont des urban­istes, des PAD (plans d’aménagement de détail) et des asso­ci­a­tions de défense du pat­ri­moine. Mais il me sem­ble par­ti­c­ulière­ment fort dans les petites villes soumis­es au dik­tat des pro­mo­teurs, des bureaux d’architectes et des caiss­es de pen­sion qui finan­cent n’importe quoi.

 «Il vit dans un foutoir architectural
en rêvant au chalet de Heidi.»

J’exagère? «Le paysage bâti est men­acé par la cons­truction sauvage, il est appau­vri par les zones indus­trielles et les aggloméra­tions privées de toute qual­ité archi­tec­turale. La cul­ture de la con­struc­tion a été mar­gin­al­isée au prof­it de critères économiques et tech­niques», dis­ait Isabelle Chas­sot, direc­trice de l’Office fédéral de la cul­ture, dans le Gior­nale del Popo­lo du 30 avril. Présente à Lugano pour un con­grès sur la Baukul­tur, elle avait eu ce juge­ment lap­idaire: «Nous sommes con­fron­tés à une forte banal­i­sa­tion du paysage bâti en Suisse».

Je ne suis donc pas le seul à m’inquiéter. Son Office par­ticipe d’ailleurs à une vaste enquête qui con­firme la prédilec­tion des Suiss­es pour la mai­son indi­vidu­elle et leur rejet des immeubles et des quartiers urbains… dans lesquels logent pour­tant la plu­part d’entre eux*. En clair, ce pays souf­fre d’un déni de réal­ité: il vit dans un foutoir archi­tec­tur­al en rêvant au chalet de Hei­di et de son grand-père.

Que faire? Les experts d’Isabelle Chas­sot se méfient des grands pro­jets à la Cor­busier, qui voulait ras­er le cen­tre de Paris et y planter des tours. En Suisse, on n’aime pas que l’Etat se mêle de tout. Mais ne rien faire, c’est laiss­er se répan­dre le règne de la laideur. Dommage.

Michel Favre, ‘Echo mag­a­zine

*Felix Keller, Le mythe de la mai­son indi­vidu­elle, essai disponible sur le site de l’Of­fice fédérale de la cul­ture.

Association pour la sauvegarde d'Echallens | ASE
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